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Nos ancêtres

Mentalité bretonne d’autrefois 

 

 

Notre enquête sur la personnalité de nos ancêtres bretons, telle qu’elle a été observée par les voyageurs des siècles passés. Essayons de pénétrer à l’intérieur même de leurs mentalités et de leur psychologie. Regroupons en quelques paragraphes les traits de caractère qui paraissent les plus notables, et qui rassemblent l’unanimité des témoignages. 

 

Hospitalité

 

• Pendant son « Voyage dans le Finistère », en 1793, Jacques Cambry revient fréquemment sur ce thème : 

– Les habitants des campagnes de Carhaix sont très hospitaliers. Autant les hommes du chef-lieu sont durs, paresseux, processifs ; autant les cultivateurs sont bons, laborieux et prévenants. 

– Les habitants de Morlaix sont bons, hospitaliers, loyaux, pleins de franchise. 

– Les moeurs du pays (région de Lesneven) sont pures, hospitalières : on y prend soin de vous, de votre ami, de vos chevaux, en refusant presque toujours la rétribution que vous offrez. Ces bons campagnards vous donnent ce qu’ils conservent de meilleur : du lard, de la viande salée, du lait, du beurre, des crêpes. 

• Habasque : Le Bas-Breton est charitable, loyal, grave, hospitalier. Sous son humble toit, l’étranger reçoit un bon accueil, et la place d’honneur lui est réservée ; le pauvre de même. 

• Villermé et Benoiston : Il ne ferme à l’indigent ni sa main ni sa porte. Il est charitable, hospitalier

• Bouet : S’il n’a pas l’apparence de la générosité, il est charitable avec le pauvre ; il le couche et le nourrit. 

• F. Davies : (Le moment était venu de) … dire adieu aux nombreux bretons amis, simples et gracieux, qui m’avaient montré tant d’amabilités pendant mon long et agréable séjour parmi eux… J’avais grand regret de quitter cette population primitive, au milieu de laquelle je ne me rappelle pas avoir passé une heure malheureuse.

 

Superstition 

 

• J. Cambry : Il n’est point de pays, même en Afrique, où l’homme soit plus superstitieux qu’il l’est en Bretagne. …. (les Bretons) agissent dans un monde réel, quand (- mais) leur imagination erre sans cesse dans un monde de chimères et de fantômes. 

• Villermé : Le Breton, ignorant et simple, est donc superstitieux ; il croit aux fées. aux nains, aux sorciers, aux revenants … 

• T. Cauvin : (Dans la région de Pontivy) La superstition du paysan et ses usages paraissent ridicules, surtout dans le siècle où nous vivons ; il serait dangereux de vouloir les empêcher, ou même d’en plaisanter. 

 

C’est probablement ce qui explique que, pendant des siècles, une des préoccupations constantes des autorités, tant civiles que religieuses, aura été de lutter contre les « idoles» : 

Concile d’Arles, 452 : Celui qui néglige d’extirper la coutume d’adorer les fontaines, les arbres, les pierres, est coupable de sacrilège. 

Concile de Tours, 567 : … conjure les pasteurs de chasser de l’église tous ceux qu’ils verront faire, devant certaines pierres, des choses qui n’ont point de rapport avec les cérémonies de l’église. 

Concile de Nantes, 658 (?) : … les démons seuls stationnent auprès de ces pierres, et ces adorations sont impies au premier chef.

Charlemagne, en 789 : à l’égard des arbres, des pierres et des fontaines, où quelques insensés vont allumer des chandelles et pratiquer d’autres superstitions, on abolira cet usage ; et que celui qui, suffisamment averti, ne ferait pas disparaître de son champ les simulacres qui y sont dressés, soit traité comme sacrilège … 

 

Tradition 

 

• Habasque : Le trait distinctif, celui qui caractérise peut-être d’une manière plus spéciale le breton en général, c’est un attachement invincible aux usages de ses aïeux : « mon père ne faisait pas cela, mon père a bien vécu sans cela », voilà la réponse à plus d’un sage conseil… Aussi il se fait si peu d’innovations dans les campagnes. 

• J. Cambry : Je n’ai jamais pu déterminer un honnête fermier à cultiver la totalité d’un champ, dont il laissait toujours un angle en friche, sous le prétexte que ses pères ne l’avaient jamais travaillé ; c’était la part du diable, à laquelle il ne fallait jamais toucher… 

• Villermé : … Cet esprit de conservation, cet instinct de l’habitude qui fait de la vie entière du Breton une vie de souvenirs et de tradition… Ce champ qu’il cultive, il le laboure de la même manière que le labourait son père ; … attachement constant aux lieux, aux choses, qui refuse tout changement, et maintient invariablement ce qui est comme il est. … Qui donc a donné à ce peuple cette immobilité dans ses moeurs, ses goûts, ses usages ? …

 

Finesse 

 

• J. Cambry multiplie les remarques en ce sens : 

– Ne jugez pas ces gens sur l’apparence ; ils sont en général hospitaliers, intelligents, et fins ; ils ont une raison solide, ils calculent avec justesse ; l’imagination domine chez eux .… Ces observations s’appliquent au district de Morlaix, à ses habitants comme à ceux des autres districts du Finistère… 

– Le peuple de la Bretagne est fin, ingénieux, et fort de caractère ; si vous rapprochez son costume, ses formes, son attitude, de ceux des peuples de la France, il paraîtra barbare, extravagant, grossier ; étudiez-le avec attention, vous reviendrez de ces fausses idées. 

… On y remarque une originalité, des tournures, une simplicité, de la finesse, qui ne se trouvent pas chez un peuple grossier. 

– (A La Feuillée ), je m’attendais à voir les hommes les plus bornés du Finistère : je leur ai trouvé de la vivacité, du feu ; plus d’idée, plus de facilité à s’exprimer en français qu’aux paysans de la Bretagne en général. … Je le répète, ils peuvent soutenir le parallèle avec les hommes les plus rusés, les plus instruits de la campagne. 

– (Autour de Brest ) : … Une extrême délicatesse, une grande sensibilité, de la fierté, de la finesse, s’allient, par un mélange singulier, à la rudesse, à la grossièreté de leur extérieur. 

• Habasque : Pendant les longues soirées d’hiver, … la conversation roule sur la pluie, le beau temps, les opérations du labourage, le mouvement des foires et marchés, le sermon du dimanche précédent, la politique, les évènements de la première révolution ; un homme d’état s’étonnerait parfois de la justesse du coup d’oeil et de la sagacité des aperçus ; mais, on le sait, la rectitude du jugement distingue surtout le Bas-Breton 

• Villermé : Sous une enveloppe grossière, il cache une intelligence prompte, un esprit fin, qui n’est pas exempt d’une certaine malice rieuse. 

• F. Davies : La tenue des hommes était sauvage et pittoresque au possible ; … apparence de brigands, … aspect sauvage ; bien que, pour leur rendre justice, on trouverait difficilement une race d’un naturel moins sauvage que ces paysans bretons, dans beaucoup de contrées plus cultivées et plus civilisées. 

 

Ivrognerie 

 

• Jean Baptiste Babin (1660) : Leurs débauches sont toujours excessives ; … rudesse, fainéantise, ivrognerie ; … emportements extrêmes, où le vin et le défaut de nourriture et de bons exemples les poussent ordinairement. 

• Mme de Sévigné, vers 1680 : Il passe autant de vin dans le corps de nos Bretons que d’eau sous les ponts. 

• R. P. Boschet (1697) : Pendant ses missions, le Père Maunoir prévenait les jeunes contre « l’excès de vin, à quoy la jeunesse de Bretagne était alors sujette ». 

• J. Cambry : Les foires sont trop multipliées ; elles arrachent le cultivateur à ses travaux ; il s’y rend par habitude, moins attiré par la nécessité … que pour céder à la paresse, à la débauche et à l’ivrognerie que ces assemblées déterminent. 

• Villermé : … Comme il y a en Bretagne peu de civilisation et beaucoup de pauvreté, il y a parmi ses habitants un penchant irrésistible à boire et à s’enivrer

• F. Davies : (Après la journée de chasse), ce fut une nuit de ripaille au Cheval-Blanc (Gourin) ; et la cérémonie de boire des santés, de porter des toasts, et de chanter des chants bretons, nous conduisit à une heure indue… L’orgie continuait longtemps après minuit, (et durait encore) à 3 heures du matin. 

• Habasque : … climat humide et froid … liqueurs fortes ; … ivrognerie

• F. Grand Moulin : Le Breton aime boire .. il s’enivre facilement. 

• Bouet : On reproche avec raison aux Armoricains un penchant à l’ivrognerie auquel ils ne savent pas résister. … Ces honteuses habitudes s’expliquent d’une manière assez naturelle. Il est incontestable que les privations appellent les excès ; chez eux, ils ne boivent que de l’eau ; lorsque leurs affaires les appellent à la ville ou les rapprochent d’un cabaret, ils se dédommagent amplement de leur sobriété ordinaire… Alors, ils ne regagnent guère leurs foyers que dans une ivresse complète. 

 

Passion de la danse 

 

Une passion effrénée, même si chacun souligne combien l’attitude corporelle demeure très rigide. 

• Statuts Synodaux de Tréguier, 1320 : Nous défendons que l’on se livre à la danse dans les églises. Nous excommunierons quiconque y dansera ou y chantera des chants profanes. 

• P. Maunoir : La jeunesse du pays armoricain est si aisée à charmer par le son des hautbois et des musettes qu’ils ne trouvent aucune difficulté à faire plusieurs lieues (1 lieue = 4 km) et se passer de leur repas pour contenter leurs passions déréglées de danser

• J. Cambry: J’ai vu, dans ces contrées (région de Brest), danser, chanter, manger dans des églises ; usage très ancien, de la plus haute antiquité, proscrit depuis par les conciles, et conservé dans cet angle du monde… La plus grande partie des dimanches, dans la Bretagne, était encore employée à la danse au 17e siècle. Dans quelques cantons du diocèse de Quimper, on passait la nuit à danser dans les chapelles. 

• Villermé : … le Breton aime cette danse, il en fait un de ses plaisirs les plus vifs. Il n’est point de réunions qu’elle n’accompagne ; elle se mêle à tous les divertissements, aux fêtes, aux pardons, aux noces surtout, qui, dans beaucoup d’endroits, durent une semaine entière…

• T. Cauvin : Le goût pour la danse est si prononcé à Pontivy que le peuple se livre à cet exercice tous les dimanches et jours de fêtes, … après les vêpres. Quoique passionnés par la danse, ils ont cependant un air sérieux. 

• F. Grand Moulin : La danse, pour laquelle ce peuple a un goût décidé, va terminer cette journée (de noces). Il faut en avoir été témoin pour se faire une idée de la décence et de la modestie que gardent ces hommes et ces femmes au milieu de leurs plaisirs. 

• J. Pommier : Dès que les sons aigus et confus du biniou et de la bombarde ont frappé ses oreilles, il oublie son apathie naturelle pour se livrer avec passion à l’exercice de la danse ; alors, ses jambes sont fidèles à la mesure, mais son corps est raide, sa figure impassible… 

• Bouet : la danse est un exercice que le paysan armoricain aime avec passion, avec fureur. Ni la longueur du chemin, ni les chaleurs dévorantes de l’été ne sont à ses yeux un obstacle, dès qu’il s’agit d’aller danser. Il fait deux, trois. quatre lieues et davantage pour se rendre à l’aire-neuve où le biniou l’appelle. A peine y arrive-t-il, baigné de sueur et haletant de fatigue, qu’il figure déjà parmi les danseurs, et, hurlant, bondissant, s’agitant comme un possédé, il y reste jusqu’à la nuit close, en proie à une sorte de fièvre qui peut seule soutenir ses forces. Les femmes partagent avec les hommes ce goût si vif pour la danse ; cependant, à les voir, on ne s’en douterait guère : elles demeurent sérieuses, réservées, tristes même en dansant. Cette attitude à demi religieuse, ces yeux presque toujours baissés, sont peut-être un souvenir de l’origine sacrée de la danse.

 

Mélancolie 

 

• J. Cambry : Le peuple est sans désir et sans ambitions ; riche des dons de la nature, il reçoit ses présents, sans la solliciter… Le caractère général des habitants de cette commune (Carhaix) est froid, indifférent : l’eau-de-vie seule les agite. … (Puis) les habitants de Carhaix retombent dans l’apathie des Espagnols et des sauvages. 

• Villermé : … penchant à la mélancolie ; … reflet d’une existence qui n’a que peu de besoins, peu de désirs, peu d’idées…  Aussi le Breton a-t-il dans son maintien, dans sa démarche, sur ses traits, quelque chose de calme et de grave. 

• Habasque : Les Bas-Bretons sont francs, brusques, quoique froids en apparence, et indolents. Leur entêtement fait proverbe. Leur humeur est mélancolique. 

• J. Davies : Après un long et agréable séjour au milieu des paysans, je n’ai rien pu trouver qui pût justifier cette légende ; au contraire, je les ai trouvés inoffensifs, indolents, et scrupuleusement honnêtes…

• Bouet : Le fond de son caractère est sérieux, mélancolique. Il montre dans tous les évènements de la vie une résignation profonde… ; son instinct naturel lui défend de jamais se hâter ; quoiqu’on puisse lui dire, il ne se presse pas davantage ; … à quoi bon ? son père ne se pressait pas.

 

Pour terminer, transcrivons ce beau portrait du marin breton, laissé par Jacques Cambry : 

Un matelot breton, ce premier matelot du monde, est un individu que rien n’étonne, que rien n’effraie, que rien ne fatigue ; il part avec une culotte longue, 2 gilets, 2 chemises et 2 mouchoirs, et parcourt les climats brûlants de l’Amérique, les mers glacées de Norvège, sans qu’une plainte, un mot, fasse connaître que l’inclémence des saisons affecte son tempérament et son caractère héroïque ; un coup de vent l’arrache à son hamac. à la douce chaleur qu’il éprouvait, il s’élance sur les haubans, sur les vergues glacées, au milieu des neiges, du vent et d’une grêle déchirante ; c’est là que, décrivant un arc dans les airs, en obéissant au roulis du navire, il est tantôt au ciel et tantôt dans la vague, sans quitter la corde qu’il tient, l’épissure qu’il fait, le ris qu’il est à prendre ; si l’ennemi foudroie son navire, les cordages, les mâts, ses compagnons tombent autour de lui, sans qu’il s’émeuve, sans qu’il quitte un instant l’occupation délicate qui demande toute l’adresse et le calme d’esprit d’un atelier. S’il meurt, c’est avec cette tranquillité que la philosophie ne peut donner, que l ‘habitude des dangers peut seule communiquer à l ‘homme. Dans sa famille il est gai, généreux, prodigue, insouciant… Ce matelot, j’en ai vu 100 de cette espèce, est le plus estimable et le plus étonnant des hommes. Je n’ai rien dit de sa sobriété, de la force avec laquelle il supporte la faim et la soif, comme je tais les excès de tous genres auxquels il cède malheureusement avec une facilité trop grande, mais qui sont peut-être un besoin, après les privations de tout genre qu’une campagne détermine. 

 

Jean LE TALLEC

 

SOURCES 

– BABIN Jean-Baptiste, Profil de la Bretagne, 1660. 

– BOSCHET, R. P., Vie du R. P. Julien Maunoir, 1697 

– BOUET Alexandre, Galerie Bretonne, 1835 (Journaliste brestois ; auteur des commentaires sur les dessins d’Olivier Perrin) 

– CAMBRY Jacques, Voyage dans le Finistère, 1794 ; édité à Brest, 1836 ; réédit. 1979 

– CAUVIN Thomas, professeur au lycée de Pontivy entre 1809 et 1820 ; texte publié par G. Le Menn et J. Y Le Moing dans Pontivy vers 1820, 2001. 

– DAVIES, Frank, Chasse aux loups et autres chasses en Bretagne, édité en 1875, séjours en Bretagne en 1854 et 1855. 

– DE CASTELLANE Victor, colonel à Pontivy en 1818 ; texte publié par G. Le Menn et J.Y. Le Moing dans Pontivy vers 1820,2001. 

– GRAND MOULIN François, proviseur au lycée de Pontivy de 1813 à 1820 ; texte publié par G. Le Menn et J.Y. Le Moing dans Pontivy vers 1820, 2001. 

– HABASQUE, Président du Tribunal de St Brieuc, Notions … sur le littoral des Côtes-du-Nord, 3 vol. 1832-1836. 

– POMMIER Jacques, médecin militaire à Pontivy de 1828 à 1830 ; texte publié par G.Le Menn et J.Y. Le Moing dans Pontivy vers 1820, 2001. 

– VILLERME et BENOISTON DE CHATEAUNEUF, Voyage en Bretagne (Rapport à l’Académie des Sciences morales et politiques), 1840. 

 

article paru dans Généalogie 22 n° 69 de janvier 2006